En creux
Nelson, la tête lourde de désespoir, posa le verre à whisky dont il venait de siffler, d'un coup, le contenu ambré.
C'est qu'il réalisait, amer, qu'à trop la négliger, il avait fini par
perdre Patty, sa princesse, comme il l'appelait toujours.
Mais l'alcool ne lui fut d'aucun réconfort.
Une fois traversé son œsophage, le liquide continua sa descente pour
s'écouler par le talon percé de sa santiag droite.
« Un
trou, pensa Patty. Il doit être en train de boire, résigné, suite à mon
message, les bras pendants. Un homme en creux... » Et elle
comprit que l'image qui venait de surgir, claire et évidente, avait
toujours été associée à Nelson, sans même qu'elle en ait eu conscience.
Nelson qui n'était qu'une absence.
Un manque moins neutre que l'oubli d'exister.
Lui, c'était une lacune vive, douloureuse, comme sont les plaies béantes.
Une étiquette pense-bête de l'envie lancinante de caresses et de passion, des désirs furieux sans objet accessible.
Nelson était une torture, un horrible mensonge par omission, un contour
trop précis de ce qui aurait pu, qui aurait dû être, de celui qu'elle
aurait voulu serrer contre son cœur...
Patty aimait Nelson. C'était un fait.
Mais, elle s'en rendait compte, lui, n'était rien qu'un trou noir,
absorbant tout cet amour, et son énergie, et son rayonnement...
Un creux croissant au milieu de son ventre de femme.
Que resterait-il d'elle si le trou s'élargissait encore ?
Aimer ne suffisait pas, parfois. Elle le savait.
Alors elle lui avait laissé un mot, difficile, à dire autant qu'à recevoir.
« J'ai décidé que je ne t'aimais plus. »
Sur les joues de Patty ruisselaient des larmes tièdes.
Le long des jambes de Nelson, le whisky s'écoulait lentement.
Il se resservit un verre.
©Ketty Steward -Automne 2005 |